Au premier abord, la bière et le fromage n’ont rien en commun. Pourtant ils ont bien plus de similitudes que tu ne pourrais le soupçonner. Les apparences sont trompeuses … Ce sont de parfaits compagnons de route.
Au commencement
Ces deux produits fermentés sont issus de la volonté de conserver des denrées alimentaires, le lait et les céréales, de manière pérenne.
Au commencement, les céréales ! L’orge, le blé, l’avoine servent d’ingrédients de base à la bière. Ils sont également la base de l’alimentation des troupeaux laitiers. Ils jouent sur la qualité du lait et donc sur l’affinage des fromages !
Les bières et les fromages possèdent dans les grandes lignes, un vocable, du matériel et des processus de fabrication similaires. On parle ensemencement, brassage, soutirage, fermentation, garde, gâteau (de drêches ou de caillé).
Ce sont les mêmes indicateurs analysés et contrôlés lors de la fabrication : durée, température, acidité, pH, … Il est vrai qu’il existe une dualité au niveau de la texture. La bière provient d’une céréale solide pour se transformer en boisson liquide. Tandis que le fromage, lui solide, provient du lait liquide. Toutefois, cette coexistence n’en rend le mariage que plus heureux car contrasté et complémentaire.
Une histoire de ferments
Les levures ont un rôle crucial, sans elles, rien de tout cela ne serait possible. En effet, sans levure (et sans sucre), pas de fermentation. C’est en partie grâce à ces êtres microscopiques que tu dois la symphonie d’odeurs lorsque tu humes la croûte d’un fromage ou lorsque tu te penches sur ton verre de bière.
Certaines interviennent aussi bien dans la production de fromages que dans le brassage des bières acides, à l’instar de certaines bactéries lactiques comme les Lactobacillus et des Pediococcus. C’est la fermentation lactique. Ces organismes unicellulaires favorisent la conservation, colorent la peau des fromages, apportent des arômes lactiques, acidifient le milieu.

Boîtes de pétri – Crédit : Jess Loiterton
A certains de ces deux produits fermentés sont ajoutés des plantes (feuilles, fleurs, branches, baies, …). Par exemple, les chèvres de la Brousse du Rove consomment du genévrier dans les garrigues provençales, tandis qu’en Finlande ou en Norvège des branches sont placées au fond des cuves pour brasser des Sahti par exemple. Plus proche de nous, la brasserie normande Ragnar ajoute des baies (appelées également cônes (comme pour les houblons)) de genièvre dans leur Ale blonde d’inspiration belge.
Une histoire commune
Depuis plusieurs siècles, l’élaboration de ces deux produits issus de la fermentation est étroitement liée. Ces derniers sont des produits de base, transmis de génération en génération, par les femmes et les hommes, aussi bien dans la sphère privée que dans les abbayes. Ces gestes immémoriaux et séculaires perdurent encore aujourd’hui.

Bière brassée par les moines de l’abbaye de Saint-Wandrille (en collaboration avec la brasserie de l’Odon). Crédit photo : Roxane Fourgous
Certaines fabrications monastiques fromagères et brassicoles sont toujours élaborées et supervisées en leur sein. Contrairement à la France, la Belgique a gardé davantage cette tradition, notamment avec l’élaboration de bières et de fromages trappistes. La religion enseignait ces techniques aussi par la voie écrite, ce qui explique une omniprésence de ces deux produits dans l’Histoire. Ils l’étaient donc bel et bien dans la vie courante, mais ici la transmission des savoirs se faisait par voie orale.
A la ferme
Pour l’anecdote, de nombreux brasseuses et brasseurs débutent en réalisant des bières dans des cuves fromagères ou dans des tanks à lait pour refroidir le moût ou pour homogénéiser la bière lors du resucrage. Ce matériel d’occasion étant moins onéreux pour démarrer une activité. Actuellement certaines brasseries utilisent des toiles de lin pour incorporer des épices à leurs bières. Toiles qui servent également chez les fromagères et les fromagers lors du moulage de certains fromages. Certains producteurs réalisent la bière et le fromage au sein même de leur ferme-brasserie-fromagerie. En Normandie, la ferme des Chèvres Brasseuses dans l’Orne (Pour en savoir plus sur cette ferme-fromagerie-brasserie, je t’invite à lire mon article Folies Bergères !, publié dans Bières & Mets N°12, 2022).

Plateau de fromages et bières fabriquées à la ferme des chèvres brasseuses. Crédit photo: Roxane Fourgous
Une histoire de science
Les interactions gustatives lient étroitement ces deux aliments. La bière se caractérise en partie par une acidité, un taux d’alcool et une amertume, certes relatifs, qui se marient à merveille avec le gras et la salinité du fromage. C’est une véritable combinaison gagnante-gagnante ! Bien entendu, selon le style de bière et la famille du fromage, les combinaisons ont plus ou moins d’affinités. La bière étant naturellement pétillante, son effervescence stimule et rafraîchit les papilles. Ce pétillement aide à mieux ressentir les saveurs, notamment celles du fromage. La carbonatation vient rompre le gras du fromage et libérer pleinement les composés aromatiques en cassant les globules de gras. L’amertume apportée par les céréales et/ou par les houblons contrebalance le gras du produit laitier. Ce qui est plus que profitable lors de ces alliances. Le sel et le sucre agissent aussi comme des exhausteurs de goût, ils apportent une dimension supplémentaire à la dégustation.
Lors de cette dernière, les mêmes descripteurs sont employés, tant au niveau olfactif que gustatif ; herbacé, floral, fruité, fumé, épicé, … ! Certaines saveurs/arômes s’opposent, d’autres se complémentent tandis que d’autres se font écho. A partir de peu d’ingrédients une multitude d’aspects, d’odeurs, de texture, de saveurs et d’arômes se retrouvent dans le produit final ; et ce grâce au savoir-faire des fromageries et brasseries. De ce fait un nombre infini d’accords est possible en jouant sur les différentes combinaisons.

Atelier bières et fromages à la brasserie havraise Be News. Crédit photo : Roxane Fourgous
La science au service de la dégustation
Plusieurs styles de bières et certains familles fromagères à l’affinage prolongé sont riches en umami, l’une des cinq saveurs fondamentales. Cette saveur de base signifie goût délicieux en japonais. Le mot est composé de l’adjectif Umai, un goût délicieux et plaisant, mais aussi un goût de viande et d’épices. Quant à la particule Mi, elle signifie le goût et l’essence. Un adjectif qui s’applique à merveille pour la bière et … le fromage. De plus lorsque tu manges ou que tu bois, l’olfaction et la gustation impliquent l’amygdale, le siège des émotions. Déguster est un plaisir par le simple fait de combler le phénomène de satiété, d’autant plus si tu consommes des aliments que tu juges qualitatifs. La gastronomie rend heureux puisque l’olfaction et la gustation stimulent les zones de plaisir du cerveau. CQFD !
Une histoire de temps
Ces deux produits subissent un temps de vieillissement, ne dit-on pas de certaines bières qu’elles se gardent et des fromages qu’ils s’affinent ? Il est intéressant de rappeler l’omniprésence du bois lors de l’affinage. La bière et le fromage peuvent être affinés en tonneaux (ou avec des copeaux de bois pour la bière), telle la Feta affinée dans des barriques en hêtre. L’Ubriaco originaire de Vénétie est affiné dans des barriques avec le marc de raisin et une adjonction de vin pendant une semaine et demie, puis il poursuit un affinage plus classique pendant plusieurs mois. L’utilisation de chacune de ces essences a un impact spécifique sur le rendu final du produit en termes de texture et d’arôme. Aujourd’hui ces techniques ancestrales sont associées à l’innovation grâce aux artisanes et artisans qui brassent avec amour ou qui affinent avec passion.

Cave d’affinage à Edimbourg. Crédit photo : Roxane Fourgous
En définitif, la bière et le fromage, fruits d’un savoir-faire séculaire, s’allient à merveille pour offrir une expérience gustative inédite.
J’apprécie l’approche nourriture et bières. A creuser.
Merci Barns pour cet encouragement 😊